Journée doctorale
Les langues de l’émancipation : quelles traductions pour la démocratie ?
Campus Condorcet
Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (LLCP) – Université Sorbonne Paris Nord (IDPS)
20 mai 2021
Après la chute du mur de Berlin, la proclamation de la fin de l’Histoire (Fukuyama, 1992) et la déclaration de la démocratie libérale en tant que seul régime politique possible et désirable dans un monde unipolaire, la révolution et ses multiples traductions émancipatrices sont apparues comme un horizon caduc. Un futur passé ou un passé futur (Casullo, 2013) qui resurgit néanmoins à chaque fois que les apories de la démocratie représentative laissent apparaître ses failles et ses faiblesses.
Il est possible de considérer que ces résurgences répondent, précisément, au fait que dans le monde contemporain, la démocratie se présente de nos jours comme un modèle neutre et autorégulateur (Rappin 2016). C’est-à-dire, comme une forme de gestion qui trouve dans une série d’intermédiaires, de contrôleurs et de dispositifs de consensualisation des mécanismes de gouvernabilité objectivés à travers la technique administrative, qui répondent à l’impératif d’adaptation (Stiegler, 2019) d’un monde global synchronisé. Ainsi, d’anciens termes propres à la réflexion sur les rapports tendus entre gouvernement, État et démocratie, laissent la place à d’autres, plus proches de l’univers du management : « accès », « gouvernance », « usagers », « confiance » ou « outils » sont des exemples qui se multiplient.
Dans ce contexte, les deux premières décennies du XXIe siècle ont été marquées de manière explicite par une remise en question non seulement du modèle de l’État-providence, avec ses aspirations à un idéal de justice sociale, mais aussi des libertés individuelles qui étaient autrefois considérées comme en tension avec ce modèle d’État, à tel point qu’on a vu se produire ce qui a été qualifié de « régression de l’État de droit » (Chevallier, 2017). Si l’on adopte une lecture proche de celle de Jacques Rancière (1998, 2009), on peut interpréter ce phénomène comme le résultat d’une extension de la logique policière contre la logique politique émancipatrice qui ne saurait se dire dans la langue du marché et de la gestion. Or, si autour des langues se joue la question de la démocratie, force est de poser la question spécifique du langage. La dés-ethnicisation de la langue nationale en tant qu’entité neutre et la dialectalisation ou la sous-valorisation des certaines variantes linguistiques selon le point de vue du « devenir naturel » sont des questions intrinsèques à certains processus de domination politique, démographique, économique et culturelle, généralement prônés par une idéologie linguistique nationaliste qui appuie sa légitimité sur certaines institutions (Moreno Cabrera, 2008).
En ce sens, en rendant la pluralité manifeste, la traduction intervient comme un des « lieux » possibles de l’émancipation, premièrement, dans un sens large, en tant que lieu de prise de parole, permettant la transformation des expériences en mots et puis leur partage.
Deuxièmement, si la dimension politique de la traduction réside aujourd’hui notamment dans sa définition en termes d’une « négociation » constante (Ivékovic, 2019), ceci lui permettant, en quelque sort, d’échapper à un calcul prémédité, elle devient un espace particulièrement propice pour repenser la démocratie.
En tant que champ polémique à ré-signifier, la démocratie se prêterait ainsi à un travail de retraductions selon la région discursive et la langue dans lesquelles on la voit réapparaître. À côté de la question de la philosophie politique classique « qu’est-ce que la démocratie ? », une autre émerge, « démocratie, dans quelles langues ? ». Traduire la démocratie pourrait alors exprimer les formes que la démocratie a prises historiquement, mais surtout celles qu’elle est susceptible de prendre dès lors qu’on donne à voir les récits marginalisés et mis à l’écart dans la lutte pour la parole.
Il faudrait donc considérer non seulement les enjeux problématiques des concepts tels que l’émancipation ou la démocratie, mais aussi envisager la construction d’une pensée alternative des alternatives possibles.
Les questions sous-jacentes à cette approche sont ainsi les suivantes : une émancipation linguistique est-elle possible ? Ou, plus largement : une démocratie sans institutions est-elle envisageable ?
Cette journée pluridisciplinaire cherche à analyser comment aborder la question de la démocratie sous différents angles dans le contexte d’un monde globalisé, et à rendre compte des défis que cela représente, dans le jeu des traductions, pour une réflexion du commun.
Ainsi, l’objectif est notamment d’ouvrir un cadre de discussion sur les manières de dire la démocratie et l’émancipation qui émergent à partir du croisement de différentes disciplines : la linguistique, la philosophie, le droit et les sciences politiques et sociales.
Axes thématiques
1 – Cartographies de l’émancipation : les luttes démocratiques au XXI siècle.
2 – Formalisations et paradoxes de la démocratie dans les langues du droit et des sciences sociales
3 – Politiques de l’hospitalité : aux frontières de la démocratie libérale ?
4 – Émancipation : une démercantilisation et dépatriarcalisation des langues ?
5 – Traduire la démocratie, démocratiser la traduction
Participation
Les participants sont invités à proposer une contribution individuelle. Les résumés, d’une extension approximative de 350 mots, doivent être présentés sous la forme d’un document Word intitulé « JD – Nom – titre » et envoyés à l’adresse avant le 15 mars 2021.
Ils doivent inclure :
• L’axe thématique auquel la proposition se rattache.
• Le titre de la communication et un résumé présentant la question de recherche posée (350 mots).
• Les coordonnés du doctorant : nom, prénom, université de rattachement, intitulé de thèse en cours, adresse mail.
Calendrier
Date limite d’envoi de propositions : 15 mars 2021
Notification d’acceptation des propositions : 30 mars 2021
Date limite d’envoi d’exposés : 20 avril 2021
Journée d’Étude Doctorant : 20 mai 2021
Comité d’organisation
Agostina WELER, Doctorante en Philosophie à l’Université Paris 8 (LLCP)
Gisele AMAYA DAL BÓ, Doctorante en Droit public à l’Université Sorbonne Paris Nord – Paris 13 (IDPS)
Martín MACÍAS SORONDO, Doctorant en Philosophie à l’Université Paris 8 (LLCP)
Natalia PRUNES, Doctorante en Philosophie à l’Université Paris 8 (LLCP)
Sabrina MORÁN, Doctorante en Sciences politiques à l’Université Sorbonne Paris Nord – Paris 13 (IDPS